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Le Clown navet
28 septembre 2006

Un autre rythme

La lecture du texte de Roland Barthes sur le tricot (dentelles d'encre), puis du commentaire léger de Cyndi (Mazel Tov Jewelry Treasures) sur le roulage de perles comme activité décérébrée m'a donné à penser, disons, m'a incitée à reprendre une réflexion que j'avais un peu mise de côté...

En fait, je décentrerais légèrement le débat; je ne parlerais pas d'activité automatique au sens de pratique ne demandant aucune espèce de réflexion - cela me paraît une vision assez erronée car, s'il faut peut-être moins se creuser les méninges pour tisser un collier ou assortir des tissus que pour planifier la réfection de sa maison ou passer un examen, on sait quelles grosses bêtises peuvent naître de quelques secondes d'inattention: nous avons toutes déjà démonté quelques rangs de tricot jacquard ou changé d'avis, une fois les pièces de tissus assemblées, quant au choix des couleurs, par exemple. Donc, les activités manuelles créatives (pour ratisser large) font appel à notre cerveau...

Mais je dirais qu'elles font appel à notre cerveau différemment. Là où les erreurs dans un plan de travaux ou dans une dissertation mal argumentée peuvent s'avérer coûteuses (quand on abattu un mur porteur, la maison s'effondre et il est trop tard), car elles se déroulent dans la vie pragmatique, efficace, productive où tout est affaire de rétribution (où tout se paie: soit on est bien payé en retour soit on paie ses erreurs et même ses fautes d'inattention), les erreurs dans mes petits bricolages textiles, puisque là n'est pas mon gagne-pain (je ne généralise pas, car pour certaines d'entre vous, l'enjeu est tout autre) ne sont jamais véritablement des erreurs, mais restent au stade peu angoissant de bévues, de petites boulettes et autres surprises plus ou moins heureuses. Le cerveau travaille mais sans craindre l'échec, il n'y a que de la carotte et pas de bâton! Il peut même s'avérer que la boulette donne un résultat plus intéressant que mon idée de départ - rare d'avoir une meilleure note parce qu'on a fait plus d'erreurs ou qu'on a plus mal argumenté... Et si la petite bévue s'avère une grosse bêtise? On démonte, ou à la poubelle et qu'on en parle plus - si ce n'est pour en tirer les leçons...

Donc, avec la création textile, la matière grise travaille tout en étant en attente de la surprise, de l'inattendu, de l'imprévu... On entre donc dans une autre temporalité - et je crois que cette temporalité autre est au coeur de mon désir de consacrer chaque semaine un peu de mon temps à toutes sortes de fibres -, une temporalité autre qui n'est pas celle de l'efficacité, de la rétribution, du rendement, de  la productivité, même, pour parler moderne-plus-si-moderne, aux antipodes de la wonderwoman "moderne" (mais à mon avis pas moderne du tout) que nous vendent les magazines féminins et que j'abhorre. On entre dans la temporalité de l'intempestif: ça arrive comme ça, sans lien logique visible avec nos prévisions. Je me dis, "tiens, je vais me coudre ce modèle de jupe dimanche après-midi" et un mois plus tard je suis toujours en train de décorer la bande du bas! Et alors? J'aurais eu le temps d'en coudre dix? Et alors? Je maîtrise ce temps-là dans la mesure où, justement, j'accepte qu'il m'échappe un peu.

Il est évidemment très "reposant" (pour revenir un peu à barthes, point de départ de cette méditation!) d'accepter que cette activité nous échappe un peu. C'est le plaisir de laisser volontairement les choses m'échapper qui est sans doute le plus fort dans mes amours textiles, et non le repos de mon cerveau courbatu - pour cela, il y a notre insipide télé... C'est bien que le "repos" n'est pas la qualité première de la création (bidouillage, peu importe) textile, mais plutôt, n'ayons pas peur des mots, la liberté!

Je me demande si, pour celles qui en font leur métier, la couture, le tissage et le tricot perdent totalement cette "gratuité", cette attente de la surprise, ou si, justement, ce n'est pas pour vivre dans cette temporalité intempestive TOUT LE TEMPS qu'elles ont choisi d'en faire leur gagne-pain...

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Commentaires
V
si j'aimerais en faire mon metier c'est parce que ce n'est pas un travail pour moi, ce que tu dis est juste et je pense m'en approcher un peu, y a la peur de l'échec mais l'echec aprend beaucoup et permet d'avancé..<br /> Pour moi j'ai l'impréssion de perdre mon temps quand je ne travail pas le textile.. en faire un gagne pain, en fait c plus que ça, ça me nourrit tout court..
M
"Je maîtrise ce temps-là dans la mesure où, justement, j'accepte qu'il m'échappe un peu."<br /> c'est extrêmement juste! je fais cette phrase mienne, pour les jours où, après un peu d'errements internet, deux trois lectures tout de suite abandonnées, des velléités de rangement qui ne conduisent qu'à faire une to-do liste dont je n'aurai, à la fin de la journée, coché aucun item,je m'affalerai avec un vieux journal féminin (idiot, évidemment), déjà lu (c'est encore meilleur)...Le temps m'aura échappé tout du long, c'est donc que je l'aurai maîtrisé, c'est ça, non? Comment ça, j'ai faux???<br /> Je plaisante, ta phrase est vraiment super juste..<br /> J'avais aussi envie de répondre à ton post sur la procrastination, mais, en réelle procrastineuse, je remets chaque jour, bien soigneusement, ma participation au lendemain...<br /> Bon, je retourne bosser (hem)..
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